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Technologies de traçabilité: avantages pour les entreprises

Technologies de traçabilité: avantages pour les entreprises

Les attentes des grands donneurs d’ordres, des investisseurs, des gouvernements et des consommateurs sont de plus en plus élevées en matière de traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Mais que représente la traçabilité et comment les entreprises doivent-elles s’y prendre pour l’intégrer dans leurs pratiques? Quels avantages en tirent-elles?

Deux experts répondent à ces questions: Florent Bouguin, vice-président et chef de la direction technologique du Groupe Optel, spécialiste des systèmes de traçabilité, et Martin Lussier, entrepreneur, investisseur en technologies propres et ancien dirigeant du fabricant automobile Plombco, la première entreprise en Amérique du Nord à offrir des produits sans plomb.

IQ – Quelles valeurs la traçabilité procure-t-elle?

Florent Bouguin: La performance, la durabilité et la conformité. Pour être plus performante, une entreprise a besoin de données qui lui permettent de mieux gérer ses inventaires, de mieux prévoir la demande et de suivre en temps réel la trace de ses produits. Elle peut également réduire son empreinte carbone grâce aux données recueillies, se conformer aux exigences réglementaires et divulguer son score à l’égard de ses sources d’approvisionnement responsables.

IQ – Comment instaure-t-on un système de traçabilité?

FB: On recueille d’abord les données à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement en se connectant à l’usine, aux camions, aux systèmes logistiques ou en allant les chercher sur les chaînes de production, grâce aux automates, ou auprès des consommateurs. Une fois recueillies, les données sont valorisées sur une plateforme infonuagique en fonction des axes de performance, de durabilité et de conformité.

IQ – Donnez-nous un exemple concret de traçabilité dans une industrie?

FB: L’écosystème de la batterie est un excellent exemple de traçabilité pour le Québec. La chaîne d’approvisionnement regroupe des grandes entreprises, des PME et les gouvernements. Les matières premières sont disponibles sur place, dans notre sol. On a de bonnes pratiques de gestion d’entreprise. On a de l’hydroélectricité. Nos batteries sont donc vertes. Il s’agit d’un avantage concurrentiel indéniable par rapport à la Chine ou à l’Inde, qualifiées de pays noirs puisqu’elles utilisent des énergies fossiles.

IQ – Comment démontrer cet avantage concurrentiel?

FB: Grâce à la traçabilité. Par exemple, la minière Nouveau Monde Graphite utilise la traçabilité pour connaître l’empreinte carbone réelle des sacs de graphite qui sortent de son usine – une primeur! La Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, s’en sert pour mesurer ses émissions de GES et Recyclage Lithion, pour s’assurer de la transparence des matériaux recyclés au Québec. Ces acteurs de la chaîne d’approvisionnement ont tout intérêt à partager leurs données de traçabilité.

D’ailleurs, un passeport numérique est sur le point d’être mis en place. Chaque batterie étant unique, son numéro de série pourra être numérisé pour connaître sa véritable empreinte carbone et l’origine de tous ses composants. Les acteurs de l’industrie devront se montrer transparents. En contrepartie, ils feront des gains en matière de durabilité et de performance.

IQ – Comment s’y prendre pour implanter un système de traçabilité ?

FB – « La phase initiale dure généralement de trois à six mois. La transformation numérique est un chemin, mais on peut déjà avoir une idée du rendement au bout de trois mois. On commence par définir un projet pilote, par comprendre la valeur que l’entreprise veut créer, puis on recueille les données pour créer cette valeur. Là commence le processus de numérisation. L’entreprise doit avoir une vision, une feuille de route. Elle doit se fixer des résultats à atteindre et les suivre. »

IQ – L’implantation d’un système de traçabilité mobilise-t-elle beaucoup de ressources?

FB: La plupart du temps, les solutions sont clés en main. Il suffit à l’entreprise de mettre le fournisseur en contact avec les employés capables de l’orienter vers les données pertinentes. La solution est ensuite prise en charge par le fournisseur. Parfois, les équipes TI de l’entreprise sont en mesure de développer leurs propres technologies de traçabilité. Dans ce cas, le fournisseur externe se chargera seulement de valoriser les données.

Martin Lussier: Ce qui compte, ce ne sont pas tant les ressources investies que les résultats obtenus. L’entreprise doit s’interroger sur les bénéfices qu’elle en tirera. Le plus souvent, l’effort en vaut la peine.

IQ – Comment se concrétise la traçabilité sur le plan social et de la gouvernance ?

FB – « Certaines entreprises font une autodéclaration au sujet de leurs pratiques afin d’obtenir une certification et de répondre aux exigences des grands donneurs d’ordre. Parfois, cette autodéclaration est auditée par un vérificateur externe, comme Veritas. Dans d’autres cas, le vérificateur fait son audit sur place. Ces vérifications permettent à l’entreprise de divulguer sa performance ESG (environnementale, sociale et de gouvernance). Par après, elle doit rendre ces données visibles. L’entreprise possède sa tour de contrôle; elle peut voir la maturité de sa chaîne d’approvisionnement en matière d’ESG et agir en conséquence. »

IQ – La COVID a-t-elle accéléré l’évolution de la traçabilité?

FB: Oui. Les chaînes d’approvisionnement ont maintenant des objectifs de carboneutralité d’ici 2030 ou 2050. La numérisation de la traçabilité permet justement aux entreprises de mesurer leur empreinte carbone en vue de la réduire. Ensuite, les pénuries et les problèmes d’approvisionnement ont augmenté pendant la pandémie, ce qui a obligé les entrepreneurs à revoir le modèle de leurs chaînes d’approvisionnement pour être plus résilients et agiles.

IQ – Les investisseurs refusent-ils de financer les entreprises à forte empreinte environnementale?

ML: Oui. Les entreprises doivent dorénavant démontrer ce qu’elles font. Personne ne veut investir dans des actifs qui risquent de devenir désuets en raison de la crise climatique. La plupart des grands investisseurs institutionnels ont maintenant des politiques en matière de finance durable et d’investissement responsable. Par contre, la crise climatique a aussi créé de belles occasions; par exemple, il sera avantageux pour une entreprise d’être la première à avoir une faible empreinte carbone dans son secteur. C’est le genre de choses que les investisseurs prennent en compte.

IQ – Les entreprises sont-elles conscientes des enjeux et réagissent-elles assez vite ?

ML – « Elles sont conscientes des enjeux; cependant, je ne suis pas convaincu qu’elles réagissent assez vite. Dans certains secteurs, oui, mais ça devrait l’être partout. J’invite les entreprises à prendre au sérieux les facteurs ESG, car le financement risque de devenir beaucoup plus difficile, voire impossible, à obtenir. »

IQ – Comment les grands donneurs d’ordres se positionnent-ils?

ML: Ils catalysent les tendances, car ils sont souvent proches des consommateurs et des organismes de réglementation. Ils sont souvent les premiers à imposer des exigences, qui éventuellement deviennent la norme. C’est ainsi depuis longtemps et, compte tenu des enjeux climatiques et sociétaux actuels, ce n’est pas près de changer.

FB: Dans la chaîne d’approvisionnement, le consommateur final est aussi un important donneur d’ordres. Il veut connaître la véritable histoire des produits. Vu le nombre de poursuites dans le monde, une entreprise ne peut plus invoquer l’ignorance; elle doit faire preuve de diligence et se montrer socioresponsable.

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